Recherche collectif désespérément

Compliqué! C’est le maître mot de la rentrée. Celui qui fuse à la question « comment allez-vous ?» Une rentrée compliquée, pas seulement parce qu’il faut faire face à une crise sans précédent et à son lot d’incertitudes, mais aussi parce l’entreprise a mal à son collectif. Lui qui était si compact et rassemblé au début est aujourd’hui en crise. Et puisqu’il se cherche, pourquoi ne pas profiter de cette période exceptionnelle pour le retrouver et le redéfinir?

A l’heure où l’on parle partout de crise économique, les dirigeants sont très largement préoccupés et leur rentrée accaparée par un nouvel enjeu qu’ils n’avaient pas vu venir : leur collectif. Plus l’incertitude s’installe, plus il semble se fragmenter, plus il est difficile à embarquer. Qu’est-ce que cette crise a bien pu lui faire ? Est-ce provisoire ou durable ? Est-ce inéluctable ou ajustable ?

Loin des yeux, loin du coeur

Au tout début de la crise, la sidération initiale a rapidement laissé place à l’union sacrée. Le courage et l’enthousiasme étaient de mise, stimulés par la volonté collective de surmonter cette épreuve sans précédent. Le collectif s’est révélé, puissant, innovant, décomplexé. Puis, progressivement, il a été mis à l’épreuve de l’individualisation et de la distance. En l’absence de présence physique, d’échanges spontanés, de rassemblements, il a eu peine à s’incarner et s’est progressivement éclaté.

Majoritairement, les collaborateurs ont apprécié cette nouvelle façon de travailler distanciée, appréciant l’efficacité, la flexibilité et l’autonomie qu’elle offrait. Une forme de liberté.

Mais pour beaucoup, la distanciation sociale s’est accompagnée d’une distanciation vis à vis de l’entreprise. L’isolement a poussé à l’introspection, à la réflexion sur le sens de son métier, sur la place de l’entreprise dans son quotidien, de son alignement avec ses aspirations.

Ce n’est pas qu’une situation temporaire. La crise est profonde, incarnée dans le questionnement de « l’Être ensemble ».

L’individualisation est en train de gagner le match. Et si le travail à distance a montré ses nombreuses vertus, son intensité bouscule et bousculera profondément l’entreprise, beaucoup plus que ce qu’on imagine. L’enjeu dans les prochains mois pour les dirigeants sera de redonner toute la valeur et la puissance de leur collectif. La performance de leur entreprise en dépend.

Retour aux basiques

Et donc, que faire ? Il n’y a pas de recette miracle mais quelques ingrédients de bon sens.

Travailler la raison d’être ensemble

Eric Albert [1] disait dans un article récent : “Il est essentiel de rappeler le sens de l’action qui est menée. Certes, il a déjà été donné mais il faut le répéter, l’éclairer à nouveau à la lumière de ce que vivent les acteurs”. Mesdames, Messieurs les dirigeants, prenez le temps de la réflexion et de l’interrogation, même en cette période où les priorités sont chamboulées et les perspectives un peu brouillées. Appelez cela Raison d’Etre, Purpose, Vision, peu importe. Ça ne se limite pas à un exercice de communication ou à un atelier de Comité de Direction. L’essentiel est dans la recherche de « que nous voulons faire ensemble, collectivement ». La mobilisation et l’engagement de votre collectif est à ce prix.

Redonner l’envie de revenir au bureau

A contre-pied du consensus actuel, je suis convaincue qu’un collectif s’incarne dans un lieu partagé, un camp de base, une maison commune dans lequel on passe un certain temps pour ne pas dire un temps certain. La crise a amplifié la dématérialisation de la relation, elle a détaché les individus de la sphère physique. Ces dernières années, l’entreprise s’est attachée (volontairement ou pas) à créer un détachement des collaborateurs vis à vis de leur espace collectif de travail (déménagement excentré des centres villes, développement des open spaces, mise en place du flex office…) un avant-goût du “restez chez vous”. Mesdames, Messieurs les dirigeants, réhabilitez le lieu de travail, ce haut lieu de sociabilité et de productivité. En d’autres termes, donnez envie à vos équipes de venir au bureau parce que cela leur sera utile, facile et agréable.

Encourager les temps de sociabilité

J’entends beaucoup parler de l’efficacité du travail à distance. Mais la distance tend à dévitaliser la relation, à la rendre utilitaire. Isabelle Barth [2] soulignait récemment que : “la tentation est grande de vouloir « rationaliser », en supprimant tous les temps « improductifs ». Ces temps ne sont pas directement « utiles » mais ils contribuent aussi indirectement à l’activité, à la qualité du produit ou du service.

Je partage cette conviction ! Les temps morts sont aussi des temps de vie. Les échanges informels et les rencontres impromptues sont le sel d’une journée de travail. Un collectif s’épanouit dans le spontané, la collision des trajectoires et des idées. Les occasions de rencontre doivent se développer quelle qu’en soit leur forme. Plus l’entreprise développera le distanciel, plus il lui faudra travailler et développer ses moments de rencontre.

Entretenir le plaisir d’être ensemble

Je terminerai par un ingrédient à ne pas oublier : le plaisir. Le collectif est sous-tendu par le plaisir d’évoluer ensemble, qui naît de la sociabilité sous toutes ses formes. Le plaisir est aussi entretenu par le fait d’être reconnu et valorisé, amplifié par la célébration collective des succès, la reconnaissance du travail accompli, l’adhésion enthousiaste à une culture d’entreprise…Il est la clé d’un collectif sublimé qui insuffle aux collaborateurs cette envie de s’y reconnecter. Il est un catalyseur. Il est le meilleur ambassadeur de votre collectif, et de votre entreprise. Donnez-lui la place qu’il mérite !

Dirigeants, vous qui êtes tenus de voir loin et d’agir près, prenez le temps du questionnement, nourrissez les relations et choyez votre collectif…la performance suivra. Collaborateurs, échangez, construisez et investissez-vous dans le collectif…

Demain se prépare ensemble et rassemblés, pour un après plein de promesses !

[1] Eric Albert, Fondateur et dirigeant de Uside, « L’individualisme morose », les Echos Executives, 4 septembre 2020
[2] Isabelle Barth, professeure en sciences du management, « La vraie question que pose le télétravail, c’est celle de l’utilité du travail », Le Monde, 24 août 2020